1/ Le phénomène naturel
Pour savoir ce qui se passe sur un lido quand il pleut, regardons comment se crée un lido.
Un lido est une bande de terre, majoritairement sableuse, entre lagune et mer. Cette bande de terre se crée lorsque que le plateau continental s’enfonce doucement dans la mer.
Les petits cours d’eau côtiers, lors de leurs crues, amènent à la mer de grandes quantités de sédiments. Ceux-ci n’étant plus soumis à leurs forces torrentueuses, ont tendance à se déposer, ils sont alors repris par les courants marins qui les trient selon leur granulométrie.
De ce triage s’édifie, peu à peu, une ligne d’équilibre entre les matériaux repoussés par les eaux marines et celles venues du continent proche. Les tempêtes « côté mer », repoussent du sable et des galets. Côté lagune, on trouve plutôt des sables riches en matières organiques.
Lorsque ces éléments émergent, ils sont repris par les vents qui créent des dunes. Ces dunes reposent donc sur un substrat salé.
Quand il pleut sur les dunes, celles-ci se dessalent progressivement. L’eau de pluie qui les traverse va ensuite à la mer, ou essaye de pénétrer plus profond que la ligne du niveau de la mer; mais là, il y a blocage, car les terrains du sous-sol sont gorgés d’eau salée puisqu’ils se sont déposés au fond de la mer. L’eau salée étant plus dense que l’eau douce, il n’y a pas mélange. Tout au plus peut-il se créer une lentille d’eau douce sous une partie des dunes.
C’est dans cette lentille que s’alimente la végétation. Ceci explique la rareté des grands arbres sur le lido entre Palavas et le Grau du Roi, et explique pourquoi le Bosquet de Carnon est devenu « Site Classé », car ses grands arbres le faisaient considérer comme un amer, au début du 20ème siècle.
Palavas est un village ancien, car il bénéficie d’une source minérale. A Carnon, au 19ème siècle, les douaniers n’avaient qu’une pompe à main, pour s’abreuver dans cette lentille d’eau douce.
2/ Urbanisation et pluie
Les première routes ont été construites en sommet du cordon dunaire (avenue Grassion Cibrand, rue Bassaget) ou en bordure de canal. La pluie, qui tombait dessus, s’évacuait vers la mer, le canal, ou les étangs. Lors de l’aménagement du port de Carnon au début des années 70, il n’a pas été envisagé un aménagement du pluvial par la Société d’aménagement du département de l’Hérault. Il est vrai que les lotissements des « enclos » n’étaient pas en chantier; c’était encore des marais et lors de leur construction par une société locale, la question n’a pas été posée. Si bien que maintenant, lors de fortes pluies la mairie-annexe et l’école sont inondées. Il en est de même à Carnon-Ouest.
Mais les routes et les immeubles cloisonnent le sous-sol du lido et donc piègent la lentille d’eau douce. Celle-ci ne peut que s’évaporer ou gonfler sur place. Si elle s’évapore, c’est le sel qui va remonter par capillarité. Si elle gonfle, voir plus bas.
Le Carnon urbain actuel se développe entre 1,50m NGF et 3,00m NGF d’altitude. La variation quotidienne du niveau de la mer peut atteindre 0,50m, ce qui fait supposer que la base de la lentille d’eau douce se situe aux environs de 0,5m NGF. Les plantes ont donc 1 à 2 mètres pour développer leur système racinaire. On comprend alors pourquoi les platanes des parkings, près du centre administratif, font ressortir leurs racines du goudron ! Cette zone a été créée sur un marais salé, lui-même remblayé par les vases et sables du fond de l’ancien étang de Solignac, qui est devenu l’aile Est du port actuel.
Pour essayer d’y remédier la commune a décidé, lors du renouvellement du revêtement des rues, de créer des avaloirs (trous d’un demi-mètre cube dans les chaussées). Ces avaloirs sont facilement bouchés par le sable, qui envahit les rues, et les effluents chargés de ciment venus des chantiers voisins. Ecologiquement, cela peut sembler mieux, puisque le lessivage des chaussées ne part plus directement à la mer sans épuration, et c’est le sous-sol qui filtre…
Mais c’est une demi-mesure qui a des conséquences catastrophiques : elle provoque l’effondrement de tout le lido !
La Grande Motte a conçu, dès l’origine, un réseau pluvial et des stations de relevage; il en existe actuellement 32. Palavas s’équipe progressivement, il y a actuellement 8 stations de relevage. A Carnon, il n’existe aucun réseau pluvial et aucune station de relevage.
3/ Les catastrophes
Septembre 2014
Inondation de l’école et de la mairie-annexe, Carnon-Centre
Inondation Carnon-Ouest avec 1,12 m d’eau rue des Quatre Fondateurs
Printemps 2018
Après un hiver pluvieux, mais suite à des jours sereins, apparition d’un chenal à travers la plage des Roquilles à Carnon-Ouest. Cette darse perpendiculaire au rivage, barrant près de la moitié de la largeur de la plage avait une largeur d’environ 8 à 10 mètres. Sur place, on pouvait constater qu’aucune trace d’engin de terrassement n’était présente sur la plage ou en mer; il n’y avait pas eu de criblage de la plage le matin même. La limite entre l’eau et le sable se faisait par une microfalaise d’effondrement du sable. Le fond de l’eau de la darse était tapissée de petits cailloux, de galets et de petits bouts de maçonnerie, alors que le sable de la plage en est presque dépourvu. Que s’était-il donc passé pendant la nuit ? Ensuite, la darse s’est déplacée vers l’Est en perdant progressivement de la largeur et de la longueur, la dérive littorale faisant son œuvre.
Pour que se crée un tel chenal, enlevant et triant les matériaux les plus fins, la seule possibilité est la présence nouvelle d’un courant d’eau. Cette zone est au droit du parking des Roquilles, qui tout l’hiver a collecté les eaux de pluies, la lentille d’eau douce a gonflé jusqu’à arriver, enfin, à trouver une issue vers la mer, et là il s’est établi un siphon entre la lentille d’eau douce et la mer plus basse. C’est ce siphon qui a creusé la darse et a permis la vidange brusque de toute l’eau douce, mais aussi d’une partie du terrain imbibé (L’espace concerné étant vaste, l’auteur n’a pu constater d’effondrement spécifique). Noter que la plupart des arbres, plantés quelques années auparavant, sont morts, l’arrosage automatique ayant été arrêté au bout de deux ans, et s’il n’y a plus d’eau douce, l’évaporation fait remonter le sel sous-jacent.
Depuis au moins 2006
Le « Site Classé » du Jardin du Bosquet illustre l’effondrement des terrains sous l’action d’une lentille d’eau douce trop importante.
Voyons les faits. Une canalisation a été creusée entre le réseau d’eau potable de la rue du Vieux Village et le Bosquet. Elle aboutit dans une buse, fermée par une grille, ressemblant à celle des avaloirs, mais se situant dix centimètres au-dessus du sol du Bosquet – l’eau de ruissellement ne peut donc y entrer. Cette buse est généralement pleine d’eau, jusqu’à 20cm du bord supérieur. Mais d’un jour à l’autre, toute l’eau peut disparaître, sans qu’il n’y ait de corrélation avec la météo.
Cette canalisation a probablement pour but d’éviter les « coups de béliers » dans le réseau d’eau potable, lorsque la consommation cesse brusquement. En réunions publiques, le maire n’a pas répondu sur le fonctionnement de cette buse. Néanmoins depuis cette date on a pu observer successivement :
- la pousse spontanée de peupliers grisards, aux alentours de la buse
- leur développement rapide avec de nombreuses branches cassantes
- l’excavation spontanée du sol entre leurs racines
- l’effondrement du sol devant le banc le plus proche
- l’effondrement du sol devant le banc suivant
- l’effondrement du banc lui-même, le siège se retrouvant à 12 cm des racines
- l’effondrement du banc voisin
- le retournement du banc au pied du platane au bord de la dune
- le penchement du platane emblématique du Bosquet de par sa taille et son entrelac de branches
Ainsi, on observe un effondrement général du sol du Jardin du Bosquet. Dans les années 70, la municipalité avait créé en son centre une large plaque goudronnée au creux des dunes, dans le but de pouvoir installer des sièges pour le cinéma en plein air. Actuellement, cette plaque de goudron domine tout une plaine herbeuse, au Nord et à l’Ouest du parc. Où est passé le terrain disparu ? Si on observe que le mur de clôture, édifié par les Ponts et Chaussées au début du 20ème siècle, présente des fissures à l’angle Nord-Est, il est vraisemblable que les eaux du parc s’écoulent régulièrement dans le canal, en emportant le substrat du terrain – contribuant, de plus, à l’envasement du canal et du port !
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Décembre 2019
On aurait pu espérer que, peu à peu, la municipalité ait intégré les principes exposés ci-dessus. Il n’en est rien au vu des travaux entrepris à Carnon-Ouest dans le triangle rue Bassaget / rue du jeu de boules / rue des Quatre Fondateurs. Depuis le siècle dernier, ce triangle est utilisé par les joueurs de boules. Il y a quelque temps la municipalité a voulu officialiser cet espace voué à la pétanque. Elle l’a délimité par des rondins de bois (pour éviter que les boules roulent sur les chaussées) et a fait réaliser un substrat fin. Mais le revêtement était constitué d’argile fine, si bien que le terrain devenait impraticable, dès qu’il pleuvait. Les boulistes (dont un conseiller municipal de la majorité) ont donc migré de cent mètres sur un espace « sauvage » mais drainé naturellement.
Les travaux engagés en décembre ont consisté à :
- Décaper la couche superficielle d’argile fine et les rondins
- Creuser d’un mètre toute la surface du terrain
- Evacuer le sable creusé d’origine dunaire (pas un caillou, pas un coquillage sur toute la surface) à la décharge de la Madeleine au pied de la Gardiole (coût transport + mise en décharge), alors que ce sable aurait été si utile au Bosquet ou au Petit Travers, pour compenser la dérive littorale
- Disposer dans la cavité des drains de 30 cm de diamètre, la reliant aux avaloirs voisins, des 2 côtés des rues
- Remplir la cavité de cailloux de type « ballast » ou « hérisson »
- Recouvrir ce ballast d’un géotextile, lui-même recouvert de gravillons
On obtient ainsi un système qui, au lieu de drainer un terrain, concentre l’eau de pluie, en poches, en sous-sol, et ceci dans des zones très restreintes, subissant la circulation automobile.
Il y a de fortes probabilités pour que l’eau emporte une partie des terrains (comme ceux du Bosquet), que des siphons se créent vers la mer comme sur la plage des Roquilles, et qu’à terme les constructions voisines soient atteintes dans leurs fondations, que les canalisations des réseaux fuient, que le gaz se répande dans les drains, les poches excavées et les gaines, jusque dans les habitations… et provoquent des explosions !
En conclusion
Le propos peut paraître trop alarmiste mais d’autres témoignages peuvent être apportés sur la non-prise en compte de la spécificité d’une ville implantée sur un cordon littoral. La situation est aussi alarmante sur les rues du Mistral et du Grégaou, au Nord du port.
Janvier 2020
Christine Combarnous, géographe – urbaniste
65 rue Samuel Bassaget 34130 Carnon
christine.combarnous (at) orange.fr